Journée magique pour des records de France et d’Europe

Pour ceux qui n’ont pas Facebook, je vous copie le récit d’Honorin Hamard. Comme il le dit lui-même c’est long (mais très bon !). 

 

Tout a commencé le 18 Avril 2024, SEBASTIEN WALFERDEIN, REGIS FOURET, GUIDO PRESTIGIOVANNI et OLIVIER ANGENARD sortent de beaux vols depuis Jeufosse (récemment appelé site de Notre dame de la mer). Les premiers 300km sont de sortie en plaine et mon ami DENIS CHOURAQUI (alias ChouChou) me contacte et me tient au courant des bonnes journées potentielles sur la plaine.
Le 19 Avril, il me dit qu’il va tenter le lendemain un gros vol depuis Barneville, je me tâte, mais avec Cognac au Sud qui limite la distance, les journées encore courtes, je préfère passer mon tour. Il sortira un magnifique vol de 331.8km. La masse d’air est très bonne, grosse instabilité et même les Alpins commencent à se tâter pour prendre la prochaine grosse journée qui s’annonce Mardi 23 Avril, afin de tenter un record. C’est l’occasion pour les Juniors d’aller chercher des records d’Europe et du Monde, et pourquoi pas pour tous, d’aller chercher un 400km en plaine Française, club assez restreint des 400+.
Le Lundi 22 Avril, une grosse journée potentielle est annoncée de nouveau mais qui finira finalement bien voilée. Tout le Pôle France est sur le pied de guerre, sous l’initiative de Maxime Pinot et la dynamique de Julien Garcia ou encore Charles Cazaux pour la FFVL, 2 bus sont en train de se créer au départ des Alpes du Nord pour monter en plaine le soir même et tenter un coup de poker le 23. De nombreux coups de fils aux locaux plaineux, pour la météo, la gestion des zones aériennes et se motiver un peu quand même pour cette mission… et c’est parti, ils fixent un RDV entre 17 et 19h pour monter sur Paris.
De mon côté, je check les prévisions qui ont l’air bonnes, mais c’est tôt dans la saison niveau ensoleillement, il y a un risque de gros étalements et je suis à perpète les oies en train de tester un prototype de Delta 5 sur Gourdon (06). La météo se dégrade, je pose et je suis de retour au bureau R&D d’Ozone Parapente vers 13h. Je dis à Denis et aux bus du pôle que c’est trop tard et que j’espère qu’ils feront un gros vol. Je regarde quand même les billets d’avion, il y a un avion ce soir à 21h45 de Nice pour Paris. Je re-check la météo, je rappelle Denis, ça paraît quand même être une grosse journée potentielle et les 400km sont faisables, d’autant plus qu’avec la dérive prévue passant de Nord-Est à Nord assez tôt dans la journée et les zones aériennes qui se libèrent au fur et à mesure des appels téléphoniques, de la lecture des Notams, SupAIP… ça paraît être un plan du tonnerre. Demain a l’air pourri dans le sud pour voler, je craque et je prends mon billet pour faire partie de cette aventure !
Décision faite à 15h, billet d’avion en poche, je prépare mon sac dans le speed, sellette, voile, penilex, batteries externes, GPS et gants. D’ailleurs BAPTISTE LAMBERT me propose ses gants chauffants et je refuse en disant que mes chaufferettes devraient suffire… Grosse erreur mais je ne le savais pas encore. Je m’allège au maximum pour un sac de 26kg, je devrais voler un peu plus léger qu’en compét, genre 107kg au lieu de 110 à 114kg mais la vitesse ne compte pas autant quand on est poussé par le vent.
Je remplis les documents pour tenter un record d’Europe à but déclaré de 350km, documents préparés par les pilotes dans les bus des Alpes du Nord, ce qui me facilite la tâche et qui permettra de pouvoir déclarer un record en Free si jamais on arrivait à faire une grosse perf. Les balises sont rentrées dans le GPS, ça servira aussi de guide pour le parcours envisagé et éviter les zones aériennes actives. Personne sur les présents au bureau ne veut tenter avec moi, ça sera départ solo à 17h pour l’aéroport de Nice. Départ non sans mal avec les kilos de grêle qu’il est en train de tomber, c’est un bordel monstre sur les routes. J’ai juste eu le temps de prendre 1 brosse à dent, un slip et une paire de chaussette, eh oui je vais voler avec tout ce que j’emporte et je n’ai pas beaucoup de place, alors c’est priorité au matos de vol. Oups je décommande aussi le repas du soir avec mon pote Serge, le RDV médical de demain, heureusement que je n’ai pas d’enfant, que ma copine est en déplacement et que j’ai remplis les croquettes du chat, les étoiles sont déjà en train de s’aligner.
J’atterris à Paris CDG vers minuit, avec quasi 30’ de retard à cause de la grêle. Je n’avais pas tout capté sur la position des aéroports à Paris, je ne suis pas à Orly, lieu de passage des deux bus des Alpes qui m’avaient gardé une place, du coup je vais être obligé de chopper un Uber pour les rejoindre à l’hôtel, à l’Ouest de Paris, proche de Mantes la Jolie et du site de vol du lendemain, Notre Dame de la mer ! J’avais regardé plusieurs plans alternatifs avec Régis, Olivier… merci à eux d’ailleurs, mais le plus simple était de rejoindre le pôle tard ce soir, ou ce matin plutôt. Arrivé à l’hôtel vers 2h du matin, le premier des 2 bus est déjà arrivé et ils ont réservé pour tout le monde une chambre d’hôtel. A peine le temps de dire bonjour à Julien mon coloc pour ce soir et de prendre les infos pour demain, que l’on sent qu’il faut dormir un peu, d’autant plus qu’il me dit que la douche est froide. Je mets les instruments à charger et m’endors paisiblement, ou presque…
7h, Nuit froide, courte et agitée, l’excitation d’un cross de plaine sur une journée fumante. Je me suis remémoré mon seul et unique vol ici, le 5 Mai 2014, sur la même épopée du Pôle France de Parapente qui était remonté pour tenter un record, avec LUC ARMANT qui devenait recordman de France en posant à La Rochelle après 370km.
J’avais réalisé mon premier 300km en plaine, avec 324km au compteur, une grosse émulation qui avait permis à beaucoup de pilotes de faire leur meilleure performance.
C’est cette émulation que je suis venu retrouver aujourd’hui, j’ai appris de mes erreurs, j’avais posé trop tôt en 2014 alors que Luc avait volé jusqu’à presque 20h. Je me rappelle en juin 2020, le vol de Fred, Franck et Martin, presque 440km, malheureusement invalidé mais sur la ligne que l’on doit emprunter aujourd’hui, ce qui est prometteur même tôt dans la saison.
Et je me rappelle enfin, le record de France que détient FREDERIC DELBOS lors de son vol depuis Chamery en mai 2019, 422km et si je ne dis pas de bêtise, 416km en ligne droite
Et je me rappelle enfin, le record de France que détient FREDERIC DELBOS lors de son vol depuis Chamery en mai 2019, 422km et si je ne dis pas de bêtise, 416km en ligne droite
Autant de vols de plaine qui m’ont marqué et que je rêve de réaliser un jour, alors pourquoi pas aujourd’hui, c’est loin dans un petit coin de ma tête, mais j’y pense. Je suis né en plaine et j’ai parcouru la France pour chercher les bonnes journées à l’époque avec mon père et mon frère, c’est ce qui me fait vibrer, le vol libre, loin de tout, sans appui, où la moindre erreur est sanctionnée cache par un gros plomb.
On remplit les Camelbaks, 8h, la bise à tous les Alpins qui pour certains je n’avais pas vu depuis longtemps, et en route ! Petit détour par la boulangerie histoire d’avoir quelque chose dans le ventre si la journée tient ses promesses et qu’on vole tout le jour durant. Nous arrivons à Notre Dame de la mer vers 9h, comme prévu, il vaut mieux toujours être 1h en avance, le temps de se relaxer, discuter, régler le matériel. On se fait déposer et on retourne garer le van au parking de la mairie comme vu avec le club local, c’est important de bien respecter les sites et les dispositions locales si l’on veut que cela dur dans le temps. D’ailleurs, petite spécificité du site, il faut s’inscrire à la charte et être titulaire du brevet de pilote confirmé, ce site est réservé aux départs de cross et aux pilotes expérimentés. On pourrait dire qu’on a pas le droit à l’erreur puisqu’il n’y a pas vraiment de posé si on se loupe, c’est posé sur une île en bas, en plein milieu de la rivière…

Journée magique pour des records de France et d'Europe

Ça fait plaisir de revoir tous les copains même si je n’ai pas beaucoup le temps de discuter, c’est priorité à la préparation. 9h45 dernier briefing du coach Julien sur les zones aériennes et le plan de vol, advienne que pourra !!! Le vent est faible au décollage, pas génial pour un déco très tôt, on doit attendre de la brise de pente si on veut éviter d’avoir fait tout se chemin pour poser sur l’île. La première bourrasque, ça gonfle mais ça ne décolle pas, patience. Une aile se fait soulever, et décolle juste avant 10h20, je suis dans les starting blocks juste derrière et me mets en l’air très rapidement.
Tout de suite, la banane, mon visage s’illumine, ça monte de partout et il est encore tôt, l’extraction va être facile et on devrait être plusieurs à partir en même temps. Pour faire un gros vol, il va falloir rester groupé, c’est le meilleur moyen d’aller loin et de faire le moins d’erreurs possible. Ce n’est jamais facile et je n’ai d’ailleurs encore jamais réussi un vol cross de plaine en groupe, mais cette fois-ci, je suis avec des pilotes qui ont mon niveau et qui ont l’habitude de voler groupé, et surtout de ne pas perdre de temps tout en ratissant large pour chercher les ascendances. C’est la base, s’écarter pour ratisser et collecter un max de thermiques. Il faut savoir le faire et rappliquer au bon moment dès qu’un pilote trouve, ça va former une espèce de gros rouleau compresseur capable d’aller très vite en minimisant les fautes de parcours.
Ça plafonne un petit bout de temps à 500-600m, je ne prends pas le risque de partir solo et j’attends un bon thermique avec plus de monde. Beaucoup de pilotes déjà en l’air, ça a dû décoller rapidement et efficacement, ça promet pour la suite. 10h45, thermique de l’extraction légèrement au vent, c’est le moment d’être concentré car le début de vol peut être piégeux. Un bon groupe se forme, je pense qu’on est une quinzaine de pilotes, suivi par une autre quinzaine qui prennent le deuxième wagon. Sur la première partie, on est limité à 1370m du coup c’est vigilance absolue, ça serait trop bête de prendre quelques mètres de plus sans avoir fait attention et d’emplafonner, mais les communications radios entre nous sont bien rodées et l’info circule pour rappel. La dérive est Nord-Est et on se laisse pousser pour sortir rapidement de cette TMA Parisienne, je me laisse monter vers 1150-1200m et quitte le thermique en gardant une bonne marge, les lignes sont vraiment bonnes et l’instabilité nous montre un gros potentiel.
650m/sol à 11h20, on touche les premiers cums et barbules, ça s’accélère, attention à ne pas aller trop vite, on sort de la zone Paris 5 et on file vers Paris 7 limitée à Fl65, environ 1950m. Le plafond est de toute façon plus bas, on a moins à s’en préoccuper pour l’instant. En revanche il faut soigner les lignes et les transitions, c’est le moment où l’on a failli perdre Max, qui part seul sur la forêt alors que dans le dos ça tire sur la ville avec un joli cum et notre ami ChouChou qui commence à monter. Grosse zone ascendante pour nous, on se fait coiffer par le deuxième groupe qui a tiré directement sur cette zone ascendante, c’est un premier avertissement que notre régime de vol et nos trajectoires n’étaient pas bonnes, à rectifier rapidement. Grosse frayeur pour Max qui descend à presque 300m/sol alors qu’on est perché à 1700m, mais au mental et à l’expérience, il revient se caler aux avants postes du groupe.
1h de vol déjà, 50km/h de moyenne, c’est une grosse journée, c’est sûr ! Je pense qu’on peut avoir 10h de vol au maximum, ça ferait du 500km si tout se passe bien… Le vent n’est pas si fort que ça en ressenti, mais on file parfois à plus de 80km/h, ce qui voudrait dire qu’on a 40km/h de vent météo. Malgré cette bonne dérive, ça reste facile de craber, ce qui est assez rare et les thermiques ne sont pas trop couchés, facile à enrouler, ça ressemble vraiment à une journée parfaite. Discussions à la radio, c’est le moment de choisir si l’on peut continuer sur le plan A avec objectif de passer à l’Est de Tours ou si on prend le plan B à l’Ouest de Tours. C’est plutôt unanime, on reste sur le Plan A, et on commence à contrer la dérive légèrement pour prendre un axe plus Nord-Nord-Est que Nord-Est.
A 1700m, ça pique les doigts, on est pas loin des -10°C et on est à 40km/h donc je vous laisse imaginer le ressenti. Tourner les bras après chaque thermique, récupérer ses doigts, faire de même pour les pieds et s’activer dans sa sellette pour arrêter de trembler. Oui parce que je suis aussi complètement en manque de couches de protections contre le froid, je suis vraiment parti à l’arrache… Si on vole 10h je vais finir en glaçon, mais le glaçon sous-marin vert le plus classe, eh oui, j’ai de nouvelles couleurs persos uniques pour ma sellette, « Lime », vert citron en gros, j’adore.
Grosse transition vers une petite ville avec un joli cum, à mi-transition, une voile décroche et part à 45° sur la droite, je crois que c’est Adrien, un petit gars de la Manche comme moi. On ne comprend pas ce qu’il fait, on ne voit pas de signe, mis à part une petite barbule en formation, mais rien qui n’explique ce changement radical. On continue sur notre axe et Adrien n’est suivi que par quelques pilotes, le gros du groupe reste soudé sur le plan initial. On arrive à 400m/sol dans un bon gros 3m/s, juste après cette ville, c’était une longue transition mais il est déjà midi et les thermiques sont bien matérialisés et organisés, on ne prenait pas grand risque à la réaliser, à tout ce qu’on est comme pilotes avant de passer à côté du thermique… On saura plus tard que c’est une transition qui a fait mal finalement, notamment pour les locaux moins habitués au vol de groupe et qui n’ont pas cru autant que nous à cette option droit sur le trait, sans faire de détour.
A partir de là, notre objectif est de viser Vendôme km150, afin de passer entre Tours et Blois, dans un petit goulet d’étranglement entre les espaces aériens. Je vous passe les détails, mais nous bénéficions d’une zone aérienne temporaires à l’Ouest d’Orléans qui nous permet d’emprunter ce petit couloir. Les zones R sur notre passage sont toutes inactives, ce sont des zones militaires ou à accès restreint, ce qui nous libère l’axe vers le sud au moins jusqu’à Montmorillon au Nord-Ouest de Limoges km300. On croisera tout de même quelques avions de chasse en VFR (vol a vue) et un avion militaire de transport, aussi en vol à vue. C’est toujours impressionnant et à leur vitesse on ne sait jamais s’ils nous ont vu ou si on était comme de petites fourmis dans le ciel pour eux.
S’en est suivi peut-être les 2 meilleures heures de ce vol, en termes de ciel, bardé de cumulus appétissants, et de grosse moyenne, avec un vent qui nous pousse bien et qui nous permet de rester aux alentours des 50km/h. Le gros groupe devient de plus en plus petit et nous sommes une dizaine de pilotes à suivre le rythme, non sans mal. Il faut craber légèrement pour ne pas se faire projeter à l’Ouest vers la TMA de Tours, et rester dans cette zone que l’on peut qualifier de « libre », puisque le plafond est largement supérieur à ce que l’on va pouvoir monter aujourd’hui. Jon, Max, Mitch, Justin et j’en oublie, sont des têtes chercheuses de thermique, ça va vite et on se fait facilement enrhumer si on ne fait pas attention. Il ne faut pas s’enflammer si l’on a pris une valise dans un thermique, revenir doucement mais sûrement pour ne pas perdre le contact. Ça tourne pas mal aux avants postes, et on navigue très haut, toujours au-dessus des 1000m, c’est agréable et efficace.
Vers 14h-14h30, on a passé Vendôme, et on attaque la zone « Libre » jusqu’au km300. Jusque-là, juste une petite erreur mais je suis revenu me placer rapidement avec les autres, à l’expérience. Au niveau du ciel, c’était la perfection, mais cela ne va pas durer, le ciel s’assombrit, de grosses zones d’ombre se créaient et les thermiques s’espacent. On rentre dans la partie difficile de ce vol et à vrai dire, je m’étais même mis à ne pas croire au 300km tellement ces zones d’ombre étaient larges. Je pensais vraiment que ça allait soit dégénérer en orage, soit complètement étaler et couper tous les thermiques. Des rues se forment mais pas sur notre chemin, on est obligé de sauter constamment de rues avec de longues transitions. C’est vraiment un point clé du vol, très visible sur nos traces, transitions longues, on descend plus bas pour trouver les ascendances et on s’expose plus au poser qui signerait la fin de se rêve des 400+ en plaine Française.
Il fait froid, très froid mais il faut lutter à l’ombre de ces étalements. Les communications radio me réchauffent un peu. Première raccroche à plusieurs à 500m/sol, entre ombre et soleil, une fois passé le nuage, ça raccroche bien. Et là, je merde, deuxième transition mal négociée en voulant viser trop au soleil sur la gauche, ça touche sous l’étalement à l’ombre plus à droite. 15h30, l’instabilité est très forte et même à l’ombre ça donne encore sous les étalements des beaux congestus soudés. 350m/sol, je ne m’affole pas et j’enroule comme je sais le faire dès que je touche la bulle. Je prie pour ne pas la perdre et je quitte le thermique avant 1400m pour ne pas prendre trop de retard sur le groupe de tête. Je suis aidé par 2 ou 3 retardataires comme moi. De nouveaux longues transition, je repasse sous les 500m/sol, et de nouveau je prends trop à gauche au soleil, c’est à l’ombre que ça donne sous le groupe de tête. Pour m’en sortir et tenter de leur remonter dans les pieds, quart de tour droite.
Là, c’est le jeu du cycle, si je tombe dedans je remonte, si je suis en fin de cycle, je ne monte pas et le groupe de tête s’envole à plusieurs kilomètres, avec un gros risque de poser vu que les tâches de soleil pour créer un nouveau cycle sont lointaines. BINGO ! Arrivé à 600m/mer alors qu’ils étaient presque à 1200, je leur remonte dans les pattes et suis enfin avec eux. Les battements cardiaques redescendent, le plafond commence à monter et on dépasse maintenant les 1700m. La zone est très humide, les bases de cum n’étaient pas franches, plusieurs hauteurs, comme si il avait plu beaucoup la veille sur toute cette zone. Mais on aperçoit la sortie du tunnel, ça s’assèche devant nous et les plafonds on l’air plus hauts bien au Sud de la Loire, ce qui est souvent le cas, plus sec et meilleurs plafonds. Je recommence à y croire, les 300 et les 400 sont faisables, ça ne va pas partir en orage mais il va falloir bien négocier les changements de rues avec ces longues transitions à l’ombre. Ce n’est pas le ciel qu’on avait au début, ça reste des pseudos-étalements, mais c’est bien meilleur que la zone qu’on vient de passer où j’aurais posé si j’avais été seul.
A l’arrière du groupe, il est déjà 16h, ça passe relativement vite en l’air puisqu’on est toujours en action et on ne voit pas le temps passer. Je suis toujours congelé mais le mental tient. Pendant la transition, j’anticipe un peu le changement de rythme et j’enroule vraiment jusqu’au plafond à 1900m. Un petit appel radio pour leur annoncer le plaf, dès fois que certains ralentissent et se mettent moins bas. Tout le monde part devant et se met un beau point bas. Avoir anticipé me permet d’arriver plus haut, mais jamais 2 sans 3, de plus de 1900m à 500m/sol, c’est vraiment difficile de rester haut tellement les thermiques sont espacés.
Je suis tout de même heureux d’arriver plus haut qu’eux alors que Mitch se met un gros gros point bas, il est 16h30 et il ne va pas falloir trainer longtemps dans les basses couches, le soleil commence déjà à descendre. Thermique plutôt couché par le vent, si on l’enroule bien, c’est celui qui nous amène au-delàs des 300km. 1600m, c’est fait, on est pas venu pour rien, on aura fait quoi qu’il arrive un beau vol, c’est cette barre des 300km que j’espère passer à chaque vol de plaine pour estimer avoir rentabilisé ma journée et mon déplacement en venant d’aussi loin. Un peu au-dessus des autres, c’est à moi d’avancer cette fois-ci et de leur montrer la zone ascendante.
Je touche, j’informe les autres qui sont en train de faire un énorme plein derrière, ça va me permettre de les attendre confort dans le thermique et d’aussi monter dans ce qui sera le plus beau plaf de la journée avec quasi 2100m à 17h. Ils arrivent, 3 tours pour se caler à ma hauteur et on est reparti. Seul Ju et Tim sont un poil à la traîne, mais ils ne lâchent rien, ça va revenir. On est maintenant à plus de 300km, proche du gros vol que j’avais fait sur ce même site en 2014, et proche du record d’Europe à but déclaré qu’on s’est fixé au départ au km350. Nous ne sommes plus que 8 si je compte bien ou 9, ça a écrémé sévère avec les 30 pilotes des deux groupes qu’on avait au départ. On est sur l’axe de Limoges qu’il faudra éviter par l’Ouest et on est limité jusqu’à 18h par les zones de Cognac à l’Ouest (au passage, autorisations à négocier au jour le jour et souvent en radio aviation au dernier moment). Un petit couloir donc, mais on est bien aligné pour ne pas se faire pousser dans Cognac trop tôt.
Cette transition est magique, le ciel s’ouvre de plus en plus devant nous et il commence à ne rester que les gros étalements de congestus actifs. Jon part à droite et a vraiment envie d’a ller à l’ombre sous une rue bien étalée. Grosses discussions en radio car l’ensemble du groupe préfère rester sur une option soleil et un peu plus loin de la zone aérienne de Cognac… Il finit par revenir avec le groupe. On touche vers 600m/sol, thermique faible qu’on mettra une éternité à gravir. Est ce que l’option proposée par Jon aurait été meilleure ? Perso je pense qu’on aurait posé sur la fôret dans l’ombre… Mais ça on ne le saura jamais ! 18h en haut du thermique à 1600m, il nous manque quasi 500m pour faire le plaf mais les 350km sont déjà jouables. Les zones de Cognac sont maintenant inactives, on va pouvoir laisser libre court à notre imagination pour trouver le chemin qui nous emmènera le plus loin possible. On mise sur un posé à 19h à cette période et donc on espère arriver à 400km tout juste.
On quitte notre ascendance qui commence vraiment à s’essouffler pour aller chercher de belles zones au soleil et surtout un cumulus qui a l’air encore bien actif, celui-ci nous permettrait d’aller facilement vers le point de 350km et du record d’Europe a but déclaré. Ça monte, beau thermique qui nous propulse à 2000m et qui nous donne à tous une sacrée banane et de l’espoir, l’espoir du 400km. Un bon coup de boost pour lutter contre le froid, ça je vous le dis, car j’ai eu l’onglée sévère sur le dernier plaf. Ça discute pas mal encore en radio et seul Jon parait décidé à faire son point à 400m de rayon pour le record d’Europe, avec Max on lâche l’affaire et on préfère tracer droit pour tenter de passer la barre mythique des 400 et arriver avec encore un peu de gaz sur la prochaine zone ascendante.
Il est 18h20 et Jon part donc seul sur notre droite faire sont point et passer dans le rayon de 400m défini avant le vol. D’ailleurs Rémi fera aussi ce record un poil derrière nous, bravo. Nous ne sommes plus que 6 encore en l’air sur cet axe, ça se réduit de plus en plus. On prend une dérive beaucoup plus Nord-Est que les précédentes, ce qui nous amène dans les zones de Cognac inactives, choix lié essentiellement aux nuages présents sur la zone alors que c’est relativement bleu partout ailleurs, le ciel bleuit très rapidement et les ascendances se font rares.
18h35, je fais l’effort et je trouve l’ascendance après une longue transition de plus. On arrive sur une zone portante à moins de 300m/sol, c’est mou mais on s’accroche car c’est peut-être notre dernier thermique et on veut vraiment ce 400. Julien et Mitch trainent du pied mais ne perdent jamais patience, c’est un combat psychologique contre soi-même, ne pas abandonner, malgré la fatigue, le froid, les autres qu’on voit s’envoler, il faut y croire et s’appliquer. Jon est déjà avec nous, c’est incroyable, il a parcouru plus de distance et est arrivé plus bas que nous mais a trouvé les ressources pour nous raccrocher, vraiment du beau vol, un pilote incroyable !
18h50, on perd le thermique, ça sent la fin mais une petite ligne de barbulles se forme et tire encore, si jamais on arrive à la chopper, on assure le 400 et même plus ! Si on la loupe ça va être tendax !!! On part en transition, les yeux affutés pour ne rien rater des indices que nous propose dame nature, tous nos sens de chercheurs de thermiques sont ouverts, c’est le moment d’être bon et patient. Km375, c’est la délivrance, il est 19h, on est encore à 1000m/sol, on tape entre 0.5 et 1m/s. Etonnant, et en même temps c’est tellement instable que c’est presque normal, de nouvelles perspectives s’ouvrent à nous, on envisage un posé beaucoup plus tardif que prévu et du coup le record de France devient jouable.
J’ai froid mais je n’y pense plus, je suis passé en mode record de France, c’est fou de ne pas y avoir pensé avant, les conditions étaient tellement difficiles que j’avais complètement sorti cette option de ma tête, passer les 420km et réaliser le record de France est devenu presque une évidence. C’est ce que j’aime dans le parapente, que cela soit en cross ou en compétition, il y a toujours des rebondissements et on ne sait jamais où est ce que l’on va atterrir, il y a parfois de très belles surprises. Le couché du soleil est prévu à 20h54, on a le droit à 30min de plus, on a du temps et ce n’est donc pas ça qui devrait nous bloquer. A un moment on va bien arrêter de tomber dans des thermiques quand même ?
Je m’applique, je ne sais pas ce que je fais de mieux que les autres, mais je me retrouve au-dessus, peut être est ce dû à mon poids, plus léger, moins chargé que les autres sous ma voile ? Bref je m’envole ! Je pars donc devant chercher sous les nuelles vers 1500m, tout en gardant un angle de contrôle si les autres finissent par monter plus fort que moi. C’est exactement ce qu’il se passe, ils finissent par trouver le tuyau de sortie et je reviens en arrière pour finir le vol ensemble et gratter encore quelques mètres pour arriver à 2000. Max est comme un fou, ça fait plaisir, on est en train de battre le record de France, Mitch et Ju qui avaient du retard, ont réussi une belle remontada et nous sommes 6 à réaliser ce plané final.
19h30, on ne sait jamais on vise des résidus de cum sur ce dernier plané pour peut-être prolonger de quelques kilomètres notre vol en enroulant du zéro. Les lueurs du soir montrent le bout de leur nez, les couleurs commencent à changer, c’est vraiment magnifique et pour la première fois du vol, on prend vraiment le temps d’admirer le paysage. On passe au-dessus de magnifiques châteaux, le soleil joue à cache-cache avec les nuages au loin et le ciel commence à s’embraser de rouge-orangé. C’est sur cette note positive que je propose à la radio de tous poser dans le même champ pour partager ce record de France, à condition que l’on ait pas 500m d’écart d’altitude non plus.
Proposition acceptée à l’unanimité, je me suis permis de proposer car étant le plus haut avec Julien, je sentais bien que les pilotes plus bas n’osaient pas demander. C’est chose faite, si tout le monde s’applique, on sera tous recordman de France au posé ! On a vraiment une grosse finesse, de l’ordre de 20 à 25, c’est la première fois du vol que ça arrive, les dégueulantes entre les thermiques sont presque stoppées puisque l’activité thermique est en train de se dissiper doucement et nous sommes juste poussés par le vent, dans une masse d’air encore légèrement porteuse.
19h45, petit 0 qu’on enroule pour se laisser décaler mais qu’on perd rapidement. On ne pensait pas aller aussi loin alors on a quand même pris un mauvais axe, en plein vers les TMA Aquitaine et la CTR de Bergerac. Ça ne nous posera pas de problème aujourd’hui mais dans l’optique d’un 500km sur un prochain vol, il faudra craber à l’Est un peu avant. Je crois que Mitch n’a plus de batterie sur sa tablette, on lui donne des infos comme on peut mais c’est quand même un peu vague, ça le met dans le jus mentalement, après 10h de vol on a du mal à rester concentré. Tout le monde est fatigué mais si on croise quelque chose, il faut vraiment rester concentré car ça peut faire de grosses différences d’altitude et on ne pourra pas attendre tout le monde.
20h, un dernier thermique sorti de nulle part, à croire que le Dieu des thermiques nous dépose des ascendances sur notre chemin, ça monte et ça monte bien même, jusqu’à 1.5m/s ! On passe de 800 à plus de 1800m, c’est incroyable, on explose le record et on va se faire le couché du soleil en l’air !!!!!! Petite fatigue, il faut quelques encouragements, Mitch se fait déposer dans le thermique mais s’accroche et en prenant de bonnes lignes arrive à nous recoller à moins de 100m. C’est fait, dernière transition cette fois et on est tous ensemble. Euphorie collective, on profite de nos derniers instants pour contempler le couché du soleil, l’air est tout doux, pas une turbulence à signaler, une glisse exceptionnelle, c’est vraiment jouissif. On s’accorde sur la direction du plané final, puis d’un champ si tout le monde passe la butte. Ça va faire, tout le monde passe et on valide notre champ. Petite pente face au vent, qui permet même de finir avec des petits waggas, que demander de plus ?
20h50 posé, 464km déclarés à la CFD et 457km en ligne droite. Un travail d’équipe monstrueux et réalisé à la perfection, c’est vraiment génial de pouvoir partager ça tous ensemble, récompenser tout le monde car c’est vraiment en équipe qu’on est allé le chercher. Moi-même j’ai été parfois en difficulté et je me suis appuyé sur mes collègues pour m’en sortir, je les ai aidés parfois et on s’en est sorti avec la plus belle des récompenses, un record de France collectif ! Des cris de joies, des accolades, des photos, on a mis un peu de temps à plier, le temps de réaliser ce qu’on venait de faire. Un peu plus de 10h de vol, presque 46km/h de moyenne, on était vraiment pas loin des 500km, mais il faut en garder sous le coude pour les prochains vols
RECORD DE FRANCE !!!
C’était presque inespéré de faire cette distance aussi tôt dans l’année, les champs étaient bien verts et jaunes, encore en fleurs, on est loin du paysage aride qu’on peut avoir avec les champs de blés secs au mois de juin par exemple. Si on ajoute les journées courtes, je trouve que c’est vraiment une performance mais qui donne aussi encore plus d’espoir pour le 500km, car de nombreuses journées seront meilleures que celle-ci j’en suis persuadé. Après, rassembler une telle dynamique le jour J, avec des zones aériennes clémentes, ça s’est plus dur à obtenir…
Combien de temps ce record va-t-il durer à votre avis ? ça se compte en jours, mois, années ?
Pour finir cette journée, il faut redescendre sur terre, on est posé au Sud de Périgueux dans un tout petit village, heureusement que le deuxième bus du pôle vient nous chercher, le premier étant déjà rentré, full depuis plusieurs heures. Un timing de fou, à peine fini de plier que le bus est déjà arrivé, il est 21h30 et nous sommes aux anges. Merci encore à Alexandra et Alexis nos chauffeurs, d’avoir fait le tour de France en bus pour nous accompagner dans cette aventure. Merci à tous les pilotes, la FFVL, pour cette préparation de dernière minute, ce vol et cette dynamique de folie.
Nous partons manger un bout sur Périgueux et fêter ça autour d’un verre tous ensemble. Le bus roulera de nuit pour rentrer sur Annecy, ils passeront par Lyon et j’ai déjà repéré un Blablacar pour Nice à 5h du matin. Je me fais déposer à 4h Gare de Lyon, 1h à attendre complètement gelé dans le froid, avant de rentrer enfin dans mon Blablacar qui me déposera à Nice à 8h, un bon gros go fast quoi ! 9h30 au bureau et 11h en l’air pour tester des voiles, je peux vous dire qu’à la fin de cette journée, j’étais un zombie. Il m’a fallu presque toute la semaine pour récupérer mais ça en valait le coup. Toutes les planètes se sont alignées pour ce vol, ça a été du 100% réussite jusqu’au bout.
Les records sont tombés, il faut maintenant les faire valider officiellement par la FAI :
– Les records d’Europe Junior en distance libre et 3 points par François Montuori. 328.6Km et 335.3 Km.
– Le record du Monde et d’Europe Junior de distance à but fixé par Hippolyte Melo. 250 Km.
– Le record d’Europe de distance à but fixé par Jonathan Marin et Rémi Bourdelle. 350 Km.
– Le record de France de distance libre 457 Km et d’Europe avec 3 points de contournement par 6 pilotes 460 Km, Tim Alongi, Michel Cervellin, Julien Garcia, Honorin Hamard, Jonathan Marin, Maxime Pinot.
N’oubliez pas ma devise « Accroche-toi ! A 20m/sol t’es encore en vol ! »

Show 1 Comment

1 Comment

  1. Ksuxcle

    Il y a qq photos mais bon ça n’apporte pas grand chose et j’avais la flemme de les mettre…
    Tout le monde a déjà vu un parapente ? 

Répondre à Ksuxcle Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *